Réseaux sociaux : des messages privés d’un groupe Messenger peuvent être utilisés comme éléments de preuve
Source : CFTC Cadres – Nov. Dec. 2023
Les réseaux sociaux sont aujourd’hui largement utilisés par les salariés français, à la fois dans leur vie professionnelle et personnelle. Beaucoup y exposent et y relatent leurs activités, leurs projets et souvent, leur mécontentement. Nous avons plusieurs fois eu l’occasion d’appeler à la vigilance dans leur utilisation car les informations dévoilées sur les réseaux sociaux peuvent se retourner contre leurs auteurs.
Dernièrement, trois salariés ont été licenciés pour avoir dénigré leur hiérarchie sur Facebook. Les juges ont pu considérer que les propos publiés sur le mur d’un des salariés étaient publics car accessibles aux “amis d’amis”. Ces propos avaient ainsi perdu leur caractère privé puisqu’ils étaient accessibles à des personnes non concernées par la discussion.
Une autre étape semble être franchie, concernant cette fois l’utilisation comme preuve de messages diffusés dans un groupe restreint via l’application de messagerie instantanée Messenger.
Dans cette affaire, plusieurs infirmières ont été licenciées pour faute grave après avoir participé à une séance photo en maillot de bain sur leur lieu de travail et pendant leurs horaires de travail. Les photos ainsi postées dans un groupe privé Messenger ont finalement été transmises à l’employeur par l’un de ses participants.
Précisons tout de suite la gravité de la situation puisqu’au-delà de la séance photo complètement déplacée dans le service d’urgence d’un hôpital, les participants avaient également introduit et consommé de l’alcool, transformant ainsi leurs heures de service en une soirée festive arrosée.
Afin de contester leur licenciement pour faute grave, ces salariées avançaient que ces photos privées, étaient issues d’une messagerie instantanée dont elles n’avaient pas autorisé la diffusion. Elles estimaient ainsi que leur production au cours du litige portait atteinte à leur vie privée.
En principe, l’utilisation de ces photos à titre de preuve pourrait être considéré comme non admissible puisqu’elle porte atteinte à la vie privée. Pour autant, le droit à la preuve doit concilier le droit à un procès équitable et le respect de la vie privée.
Or, l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet. Il revient en effet au juge d’apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.
Pour ce faire, il met en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve qui peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle du salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur et la protection des patients).
Dans la mesure où ces photos avaient été prises sur le lieu de travail et à destination de collègues et d’anciens collègues de travail, elles relevaient de la sphère professionnelle et étaient légitimement produites aux débats. Elles révélaient par ailleurs un comportement totalement contraire aux obligations professionnelles des salariées.
Cassation Soc. 4 octobre 2023 n° 21-25.452 & n° 22-18.217